Overly strong faith clouds the eyes. You are no longer able to see what you should. But perhaps that is still good, in its own way.
Maintes et maintes fois on nous a rabâché les vertus de certains jeux comme s’ils étaient à mettre au même niveau que certains chefs-d’œuvre du cinéma et de la littérature fantastiques. Maintes et maintes fois on vous a répété qu’un certain Xenogears de Squaresoft possédait à lui seul les qualités et la puissance que seuls certains ouvrages cultes de science-fiction pouvaient se targuer d’avoir. Et pourtant, sous ses faux airs d’Evangelion aromatisé à la sauce space opera bucolique, c’était finalement assez proche de la vérité. A tel point qu’on pouvait lui pardonner des lacunes en termes de gameplay et de progression ainsi qu’une narration parfois lourde. Certains joueurs, que dis-je, certains illuminés auraient même été jusqu’à recommencer ce Graal vidéoludique plus d’une vingtaine de fois, ayant la foi et étant décidés à en percer tous les mystères. Et justement, quand Namco décide de racheter la récente start-up du « saint-père » Tetsuya Takahashi, c’est toute la cosmologie qui est bouleversée et la foule de croyants qui se retrouve à implorer le ciel devant tant d’incertitude et de menaces probables. Le Diable se cachait-il donc sous les traits de cette nouvelle série qui imitait tant et si bien (que mal) le messie qu’il apparaissait sous une même allure et qui portait le doux nom de Xenosaga ?
C’est bien ce que l’on aurait pu croire, car si le premier épisode était en tout point alléchant, jusqu’à hériter de certains travers de son grand frère Xenogears, il était possible que cela soit l’œuvre du Malin afin de nous attirer dans son antre et nous voler notre âme. La supercherie avait pourtant été découverte lorsque le deuxième jeu s’était donné à nous. On aurait voulu aller jusqu’au bout, enlacer cette beauté de tout son être et goûter cette expérience coûte que coûte. Pourtant, c’est avec dégoût et frustration que l’on pouvait s’apercevoir que céder aux plaisirs de la chair nous avait amenés à vendre notre âme, en fin de compte. Et ce n’est pas le cliffhanger final qui aurait pu y changer grand-chose malgré un mince espoir encore vivant, quelque part au fond du cœur du fan traumatisé. L’adoration à l’extrême s’était heurtée à une vérité obscène : Xenosaga ne pourrait jamais devenir Xenogears: il n’en avait ni la pureté ni la grâce. « Dieu » venait de mourir à nouveau.
Toutefois, il semblait bien que Namco n’en avait pas fini avec nous car oui, nous avions cédé notre âme. Et un troisième épisode était en préparation, comme pour nous achever, nous dire que finalement c’était bien l’Enfer qui nous attendrait. Affublé d’un sous-titre allemand emprunté à l’œuvre du philosophe germanique Nietzsche, ce Xenosaga Episode III Also sprach Zarathustra s’annonçait encore plus prétentieux, toujours plus intriguant. Et j’étais moi-même à nouveau possédé par un irrésistible désir d’en savoir plus … puisqu’après tout, la situation pouvait-elle être pire ?
Fear drives evolution. Human beings used their intelligence to conquer their fears and to obtain power.
Xenosaga Episode III s’ouvre comme à l’accoutumée sur une superbe scène d’introduction mettant cette fois-ci en scène une mère et son jeune fils fuyant les viles Gnosis sur une planète mise à feu et à sang. Parvenant à atteindre une capsule de sauvetage, la mère se sacrifie et donne in extremis son talisman à son fils. Elle se change alors en monstre devant les yeux effrayés de sa progéniture implorante. La capsule et son unique passager, seul survivant d’un massacre planétaire, décollent enfin en abandonnant ce qui était auparavant une mère douce et dévouée … un prix plus qu’énorme pour la liberté.
Ce garçon, c’est Kevin Winnicott, futur ingénieur en chef du projet KOS MOS et amant décédé de Shion Uzuki, l’héroïne tourmentée du jeu qui porte le fameux talisman et qui s’occupe de l’androïde bleuâtre et siliconée KOS MOS. Ou plutôt, “s’occupait” car depuis les événements de Jenseits von Gut und Böse (titre à rallonge inside), cela fait plus d’un an que l’horripilante Shion a découvert les agissements peu catholiques de sa société multinationale (et omniprésente) : Vector Industries. Shion a démissionné afin d’intégrer un groupe anti-UMN nommé Scienta, qui est plus ou moins terroriste et illégal, en charge d’espionner ladite société et de percer ses secrets si bien gardés.
Le jeu débute en l’occurrence par l’infiltration des laboratoires de la S Line Division afin de récupérer des informations vitales sur la vraie nature de l’UMN – Unus Mundus Network, qui relie les différents mondes – et sur les activités du père de Shion. Contactée par Allen Ridgeley, son ancien co-équipier, Shion Uzuki se rend par la suite sur Fifth Jerusalem où elle assiste, médusée, à une démonstration du nouvel androïde de combat, T-Elos, dont la ressemblance avec KOS MOS est alors plus que saisissante et dont la force dépasse cette dernière de très loin. Roth Mantel, son créateur, informe Shion de l’annulation du projet KOS MOS. Imaginez un peu la stupeur de l’héroïne !
Pendant ce temps-là, les Quatre Testaments à la botte de Wilhelm, le PDG de Vector, se réunissent autour d’une tombe dans un lieu inconnu et ancien : en fait, un astéroïde nommé Rennes-le-Château (Cocorico !), un bout de l’ancienne Terre perdue (Lost Jerusalem quoi) à la dérive et prisonnier d’un vortex spatio-temporel – rien que ça. Tandis que le Testament Rouge exprime la nécessité de réparer une grave erreur commise il y a 15 ans, le Testament Bleu nous informe que ce tombeau est celui de leur « princesse ». De leur côté, Shion et son groupe apprennent l’existence de Rennes-le-Château lorsque l’androïde Canaan décode les données récupérées précédemment et déchiffre les coordonnées tant convoitées. Par une même étrange coïncidence, le Cardinal Heinlein à la tête de l’Eglise informe son fidèle Margulis, qui se trouve alors sur la planète Michtam avec le reste de l’Ormus, qu’un vaisseau de classe Lohengrin s’approche du fameux astéroïde. Par conséquent, toutes les factions principales du jeu sont en place et en mouvement vers un même objectif ultime et vont devoir s’affronter afin de décider du sort de l’humanité, le tout lié au Zohar qui a été malencontreusement aspiré par un Gnosis géant. C’est aussi sans compter sur un mystérieux artefact intelligemment intitulé Zarathustra …
In ancient times, people were together with God. People loved God, revered and even feared God. Eventually they sought the ability to become gods themselves.
Vous trouverez ainsi les réponses à la plupart des grandes questions du jeu. Du rôle de Zohar à l’identité des Testaments, du but de Wilhelm à l’immunité de Shion face aux Gnosis, du passé de Jan Sauer à l’explication du nom messianique du si réservé et angélique chaos. Tout prend alors forme et on voit surgir de vrais liens logiques, tout apparaît bien pensé, prémédité, et ces révélations seront portées par un déroulement dynamique des événements, tout s’entrecoupe et donne du sens à la quête de chaque faction, proposant alors une réflexion mature et adulte et dépassant les clichés trop nombreux du genre. Sans être un chef-d’œuvre, Xenosaga réinvestit ici des éléments de Xenogears et les détourne pour créer son propre univers et forger une tragédie des plus raffinée. Le jeu arrive aussi à prendre de la distance par rapport à autant de sérieux presque pédant, ce name-dropping racolant des références obscures. Le jeu sait prendre le temps de se moquer de ses travers, et aussi de jauger l’intensité des scènes et de provoquer de vrais moments simples et touchants. On aimera aussi le parti pris dans certains choix scénaristiques, car si le jeu cède parfois à certaines modes, il va jusqu’au bout de son histoire et promet des retournements de situations incroyables et des morts ou révélations parfois choquantes. Ainsi que des duels d’anthologie : Jan Sauer face à son nemesis, Jin Uzuki face à Margulis, les 3 URTV contre leur père qui joue à Dieu, etc. Le tout agrémenté de thèmes philosophiques, notamment cette fois-ci, le concept de l’Eternel retour et l’existentialisme en arrière-plan de tout ce qui se passe.
Even a fool has his pride.
Dommage qu’au final le jeu choisisse d’être si moral et que la censure soit passée par là sur la version américaine, la force de certains passages étant atténuée par le ridicule des scènes où des personnages mimeront une interaction avec du sang quand celui-ci n’existe tout simplement plus à l’écran.
Bref, du scénario qui stimule, même si c’est aussi parsemé de délires et de références religieux avec une ambiance de fin du monde intergalactique. Rien que ça, en effet. Et le tout mené avec brio puisque les 10 chapitres du jeu (comptez 30 heures en ligne droite) s’enchaînent sans que l’on puisse vraiment reprendre son souffle. Merci aussi pour les références souvent visuelles à Xenogears qui confirment bien que Xenosaga est bel et bien à part et qu’il se pense en rupture totale avec la chronologie de ce dernier. On avait donc raison sur Lost Edens de croire depuis le début que vous ne reverriez pas Welltall ou Deus … quoique, pas avec ces dénominations !
As a warrior, and as a man, I will leave my mark upon the world!
Et le jeu alors ? On notera les nombreux efforts effectués qui rendent le système très agréable et ergonomique. Le déroulement est toujours pareil, vous avez là un RPG classique qui vous envoie dans des villes, vaisseaux et donjons, avec à la clef couloirs et dédales où des énigmes mettront vos méninges à rude épreuve (ou pas) et où vous pourrez détruire des éléments du décor pour vous aider. Les monstres sont toujours visibles et on aura toujours la possibilité de les affaiblir sur le terrain ou de leur foncer dans le dos pour provoquer des combats en notre faveur dès leur commencement. C’est aussi le retour des magasins, cette fois-ci via des checkpoints bleus en forme de points de sauvegarde avec tout globalement pensé pour aider le joueur. La difficulté est donc bien dosée et les points récupérés en combats vous serviront surtout pour débloquer des compétences dans les arbres spécifiques à chaque personnage.
Quant aux affrontements en eux-mêmes, c’est là qu’on s’amuse le plus et qu’on prend vraiment son pied. Système hybride entre les deux premiers opus, et ça marche. Ainsi, chaque personnage a des actions réalisables en fonction de ses EP et la barre de boost est devenue commune à tous les personnages. On peut donc jouer avec l’adversaire pour essayer de gagner des tours. Ou on peut aussi passer des tours et charger le boost pour utiliser des techniques spéciales bien puissantes. On a aussi des attaques très différentes basées sur des combos et qui s’utilisent en fonction du point faible de l’ennemi puisque les zones de dégâts sont de retour, cette fois-ci bien gérés étant donné que les jauges de Break aident à rendre inactif le camp d’en face et à l’enchaîner. De quoi rendre le jeu ultra dynamique, jouissif et aussi tactique dans le sens où il sera préférable de s’adapter à l’adversaire. Et sachant que tuer un ennemi avec une technique spéciale rapportera beaucoup plus de points, il sera aussi préférable de tenter de beaux gestes.
Mais surtout, ce sont les combats en ES, ces mechas si classes, qui impressionnent et rendent le jeu si épique. Les dégâts sont énormes, les actions folles, ça prend des échelles démesurées. Et puis il faut savoir gérer son carburant et charger au bon moment pour se soigner. Les attaques basiques consistent aussi en des combos de boutons différents en fonction des résistances et faiblesses de l’adversaire. La nouveauté vient de la barre d’Anima qui se remplit au fur et à mesure que votre ES attaque. Il faut alors bien jauger et penser le nombre de tours d’attaque et de soins pour remplir un ou deux niveaux d’Anima et déclencher des attaques dévastatrices qui achèveront tout ce qu’il y aura en face et donc réveilleront la fureur divine en vous.
Usus magister est optimus.
Techniquement irréprochable et fluide, visuellement travaillé et adoptant un style chaleureux et adulte entre l’esthétique manga du premier épisode et le réalisme froid du second, Xenosaga Episode III affiche clairement la maîtrise de la PlayStation 2 par Monolith. A ce titre, les décors et environnements sont à tomber à la renverse et les cinématiques font tout simplement rêver. On pourra toujours reprocher le côté trop vide et dirigiste des couloirs, cependant, on a aussi une vraie diversité dans les environnements et les thèmes abordés. Les personnages sont encore plus charismatiques et le doublage est encore une fois de très grande qualité. On se prend vraiment au jeu et à l’histoire qui arrive au sommet de l’intensité émotionnelle. Et cette efficacité ne serait pas telle sans les musiques très présentes et sublimes, entre de l’electro dynamique in-game et les compositions sincères et dépouillées de Kajiura Yuki qui, encore une fois, nous envoûtent. Bande-son peut-être moins marquante et structurée que pour l’épisode 2 mais plus mystique et orchestrale à la manière d’un Mitsuda. C’est de l’ambiance, de la mélancolie qui imprègne tout élément du jeu. Retenons particulièrement cette perle qu’est le thème « Hepatica ».
It’s quiet now. I don’t think it’s ever been this quiet before in my whole life. This is what I sought. And yet, now that the time has finally come, I long for the noise of the past. I long for those hectic and chaotic days that once were. But this too, is pleasant, in an odd sort of way.
Xenosaga Episode III, un miracle de plus pour notre cher Zohar ? Un jeu pour les fans et qui les ravira bien sûr. C’est un excellent jeu oui, et en tant que fin d’un cycle bouclant l’aventure, c’est la caution intellectuelle et de qualité qui justifie la réussite de toute la saga. Voilà un jeu qui donne toute la cohérence nécessaire à une histoire hachée et qui peut prétendre réunir ses aînés en un seul et unique jeu en concurrence avec l’illustre Xenogears. Alors tout n’est pas aussi parfait bien sûr, mais on prend énormément de plaisir sur ce jeu et son univers marquera indéniablement tous les joueurs qui auront osé subir l’attente et les difficultés inhérentes à ces différents épisodes. Xenosaga n’aura jamais révolutionné le petit monde du RPG, il lui donne simplement ses lettres de noblesse car il aura pris soin de peaufiner son gameplay et de développer une histoire incroyable. La fin est évidemment sujette à polémique. Comment pourrait-il en être autrement quand toutes les promesses faites laissaient se réaliser en nous mille et un scénarii touchant au divin ?
Xenosaga a su garder tout son charme, déjà en répondant à toutes les questions et procurant de grands moments de jeu vidéo, mais aussi en laissant à l’ultime moment des détails en suspens. Xenosaga marquera donc les fans comme un conte moderne réussi et cela, soutenu par des images fortes. Reste qu’une fois la grande aventure terminée, on a du mal à digérer le fait qu’il n’y aura pas d’autres épisodes et une fois les questions résolues, la saga, en vidant son sac, n’aura peut-être plus la même importance pour vous… d’où notre lenteur sur Lost Edens à vous parler de cet excellent jeu qui vient parachever une saga toute particulière dans la cosmogonie des RPG nippons.
Ecrit par Daku le 22 décembre 2008 | Modifié le 23 décembre 2008