Strawberry Shortcakes, que l’on peut traduire par “Milles-feuilles à la fraise”, commence sur un texte d’introduction assez singulier dont le message annonce d’emblée le style de récit : les femmes sont similaires mais pourtant si uniques. Message, qui par sa conclusion, donne directement le ton et le point de vue adoptés par l’auteur : “Bande d’abrutis”.
Si “abrutis” ne comporte pas de “e”, c’est tout simplement car ici, point de place pour un point de vue masculin.
Kiriko Nananan fut découverte il y a quelques années de cela en France avec Blue, manga au dessin d’une douceur sans pareille et d’une mise en page assez particulière et sensible où se succédaient gros plans répétitifs, silhouettes et points de vues décentrés.
Blue est un peu le premier Yuri sérieux sorti en France, dans le sens où il abordait les aléas des relations homosexuelles entre adolescentes, sans jamais tomber dans le shojo ou le porno. Peu de sexe dans cette oeuvre, un peu plus dans Everydays, un second One Shot publié après le succès critique de Blue, qui avait pour personnages un jeune couple devant faire face aux aléas de la vie ; lui étant musicien, elle vivant de petits boulots.
Strawberry Shortcakes se présente un peu comme une version plus adulte de ces récits ainsi qu’un aboutissement de l’oeuvre de Nananan.
On suit donc dans cette histoire plusieurs personnages, toutes femmes, en couple ou célibataires, menant leur vie de tous les jours. Le lecteur est immédiatement plongé dans une intimité proprement féminine, chaque personnage ayant trait à une personnalité particulière : femme discrète, patiente, pragmatique, envieuse. On assiste à ces tranches de vie où se succèdent malheurs, petits bonheurs ou angoisses de la vie courante, qu’ils soient liés au travail ou à l’amour. On assiste également aux réactions ou non réactions des différentes protagonistes au fil des pages et on constate leurs évolutions (ou non évolutions) sur les sujets leur tenant à coeur.
En tant qu’homme, il est très difficile de faire une critique d’un manga de Nananan car, s’il est bien une chose admise, c’est que les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus. Assez brut de décoffrage non par sa narration ou son récit, mais par son point de vue ultra intimiste, Strawberry Shortcakes est compliqué à appréhender.
De plus, après deux oeuvres chroniquées ici qui ne mettaient pas totalement en avant ce coté réfléchi purement féminin mais plutôt une forme de Freak Show (Helter Skelter) et de compte-rendu objectif d’une maladie (In the Clothes Named Fat), on constate que cette intimité commune forcée est aussi une tare.
Une tare, car de notre point de vue d’occidentaux, et surtout de Français, l’intimité est un peu une formule facile de vente comme en témoignent les nombreux films sortant chaque année (à l’heure où j’écris ce texte par exemple, La fille de Monaco mélo-comico-drame présentant les aléas du couple et de la séduction) dans nos contrées et qui, en quelque sorte, “banalisent” cette forme de plongeon dans l’intimité d’une femme. Le Japon, pays d’origine de l’auteur, n’a peut-être pas cette culture de la démonstration de l’intimité et peut alors se targuer d’être une totale réussite de par son caractère réfléchi et sa sensibilité.
Même pour nous, Strawberry Shortcakes est un cran bien au-dessus que le tas d’immondices que sont ces films à acteurs mélodramatiques qui sortent chaque année. Mais l’entreprise du manga semble, au final, manquer d’originalité.
Et là où le bât blesse, c’est que malgré ses qualités indéniables et cette formidable mise en abysse dans l’intimité, ce manga souffre d’un manque de maturité sur certains points, le premier étant l’originalité tout simplement. Quoi de plus banal qu’une femme qui n’ose pas déclarer son amour, qu’une artiste en mal de reconnaissance, d’une femme sans motivation pour son couple, etc. ?
Cela aurait pu être très intéressant dans le déroulement, mais malheureusement, l’auteur semble se complaire dans la souffrance qu’elle inflige à ses personnages, les faisant évoluer par touches subtiles et sensibles, mais trop peu, nous faisant terminer notre lecture par une simple constatation qui pourrait se résumer à “Dans la vie, il faut parfois tourner la page, se bouger le cul, et savoir faire preuve de courage”.
La seconde tare qui pèse sur ce manga est son manque de crédibilité dû à un discours un peu trop adolescent. Car comme dit plus haut, on parle ici de femmes âgées de 20 à 35 ans, pas d’ados un peu perdues dans la découverte des sentiments comme ce fut le cas dans Blue. Ces femmes ont des problèmes de femmes : solitude, santé, ennui, amour, mais bizarrement, leurs réactions, discours ou pensées sont plus de l’ordre de l’adolescente que de la femme, comme si chacune vivait pour la première fois lesdits maux.
Malgré tout ces défauts, Strawberry Shortcakes se veut être un excellent manga : le découpage est admirable, le dessin somptueux de douceur et de sensibilité, l’utilisation des cases noires ou blanches selon les pensées rafraichissante, la narration par le silence et les attitudes novatrice, tout cela fait de ce tome une référence, au moins sur la forme qui est un véritable aboutissement du style de Nananan, après le trop conceptuel Blue et le peu lisible Everydays.
Kiriko Nananan signe donc ici une oeuvre en demi-teinte, au discours quelque peu convenu et enfantin et au style graphique mature. Il reste à savoir quelle sera la suite : continuera-t-elle dans ce discours adolescent qui fait sa marque pour peut-être l’améliorer, ou tentera-t-elle une approche différente qui fera évoluer sa narration ?
Ecrit par Neithan le 28 septembre 2008 | Modifié le 28 septembre 2008