Avec Planètes, Makoto Yukimura tente de changer la face de la bande dessinée de science-fiction. D’un récit qui semble au début consacré à la simple démonstration d’un futur peu reluisant dans l’espace, l’auteur nous emmène plus loin, vers des réflexions telles que la place de l’homme dans l’espace, la vie, la mort, ou encore la violence qu’on peut parfois s’infliger à soi même et aux autres.
Chronique d’un titre qui change enfin le visage du manga de science fiction.
Car il faut bien l’avouer, la science fiction dans le manga est de plus en plus rare. De la floraison de titres exceptionnels que nous avons eu il y a quelques années (Gunnm, Blame, Akira, et consort) n’est pas resté grand chose. La science-fiction dans ce médium ne survit que grâce à quelques titres souvent trop rares.
Planètes, qui sort en 2001 au Japon et en 2002 chez nous, apporte un visage très neuf au genre. On s’éloigne de l’esprit d’habitude si créatif des auteurs nippons pour entrer dans un monde plutôt classique bien que fantasmagorique : l’homme a conquis l’espace. A la recherche de nouvelles sources d’énergies, il a commencé l’exploitation des ressources de la Lune, de Mars, et prévoit d’aller bientôt sur Jupiter.
Seule contrepartie : les déchets.
Si sur Terre la poussière tombe au sol, dans l’espace, elle stagne dans le vide à différentes vitesses, rendant dangereux les voyages spatiaux. Pour remédier à cela, on engage des éboueurs de l’espace qui récupèrent, inlassablement, les débris des fusées et autres créations humaines qui se sont un jour dispersées dans le vide.
Partant de ce scénario très réaliste, Yukimura nous fait rencontrer une petite pléthore de personnages. Hachimaki est un jeune astronaute fougueux dont le rêve est de posséder sa propre navette. Fee est une mère de famille commandante d’un vaisseau éboueur, Yuri également éboueur. On croise d’autres personnages tels que Tanabé, débutante dans le métier, le père d’Hachimaki, vétéran de l’espace et également Locksmith, homme sans état d’âmes dont le seul et unique but est de construire le vaisseau qui permettra la conquête de Jupiter.
Le manga est découpé en « Phases » qui nous racontent à chaque fois un petit bout de vie de chacun de ces personnages, tout en suivant une trame de fond principale.
Le début du manga s’axe plutôt sur Yuri, puis Hachimaki en devient le héros, et Fee reprend le rôle principal dans le quatrième et dernier tome.
Comme ne cesse de le répéter Hachimaki comme pour s’en convaincre : « On vit dans l’espace. On meurt dans l’espace ».
Planètes ne se laisse pas prendre au piège de la surenchère héroïque propre au genre. Les protagonistes ne sont que des hommes et femmes, en proie au doute, à la peur, et aux questionnements que chaque personne peut se poser un jour.
A titre d’exemple, Yukimura nous dépeint le portrait de Yuri fouillant l’orbite terrestre pendant six ans pour trouver le cadavre de sa femme morte dans un accident de navette et dont le corps flotte toujours quelque part en orbite terrestre.
Cela a-t-il servi à quelque chose ? Cela stoppe-t-il les doutes de Yuri, l’irréalité de cette recherche ? Pourquoi chercher une chose aussi petite dans un espace infini ?
Hachimaki après un accident, se retrouve seul perdu dans l’espace pendant un long moment, coupé de tout contact. Le son n’existe pas dans l’espace, la gravité non plus, la lumière peut disparaître à chaque instant, l’espace est un monde vide, un monde mort.
Vivant cette expérience douloureuse de la solitude, Hachimaki va s’endurcir pour ne pas faiblir devant son double qui vient le hanter chaque nuit et lui rappeler à quel point l’espace, élément anciennement familier, lui fait peur et combien cette peur peut être motif à bien des erreurs.
Solitude, peurs, regrets, souffrances, toutes ces choses terribles deviennent sa seule force motrice, qui lui permet de ne pas craquer devant les épreuves qu’il s’impose pour accomplir son rêve de partir pour Jupiter.
Comment calmer cette colère ? Et si « l’amour » dont parle Tanabé et dont il se moque en était la solution ? Qu’est-ce qui a motivé sa colère, et, une fois celle-ci disparue, que faire ?
Quand sa colère disparaît, Hachimaki est calme, mais que penser ?
« Qui suis-je ? où vais-je ? quel est mon but dans la vie ? ». Certains voient de l’ironie dans ces questions dont Hachimaki tentera de trouver les réponses.
Souvent contemplatif, le manga se laisse lire sans accroc, sans réellement d’efforts. Le dessin, pas exceptionnel mais agréable, possède un charme tout particulier. Certaines planches, essentiellement celles présentant l’espace infini comme un sombre écran noir troué de milliers de petits points blancs, sont magnifiques et impressionnantes, les meilleurs scènes restant les introspections d’Hachimaki, sortes de rêves éveillés durant lesquels ce dernier tente de trouver des réponses aux questions qui l’assaillent.
Totalement dénué de mysticisme, Planètes paraît à la fois très terre à terre et philosophique. Très éloigné des stéréotypes philosophiques du manga comme Evangelion a su les inventer (et parfois malheureusement les imposer), les personnages ne se posent pas une question essentielle durant les quatre tomes pour pouvoir y répondre à la dernière page, mais suivent un schéma évolutif comparable aux idées déposées logiquement par réflexion sur une copie de philosophie.
En limitant volontairement la longueur du manga et bien que le dernier tome soit très épais, Yukimura évite également la surenchère grasse et lourdingue que ce genre de manga peut amener, restant à la fois accessible à tous et pourtant très complexe et intelligent.
Et si une multitude de thèmes sont abordés via les différents personnages, on retiendra avant tout de ce manga une magnifique leçon d’humilité que peu peuvent se vanter d’avoir.
Oeuvre d’introspection d’une sensibilité déconcertante, Planètes parvient au final à nous parler de la chose la plus importante au monde sans jamais tomber dans le cul-cul ou dans la surenchère, réussit à nous faire comprendre que beaucoup de réponses ne peuvent être trouvées seul, et que, malgré toutes les forces qui peuvent faire tourner l’univers, la plus forte d’entres elles est celle à laquelle on ne pense que rarement et qui pourtant, est essentielle à notre monde :
L’amour. Tout simplement.
Ecrit par Neithan le 05 février 2008 | Modifié le 05 février 2008