Rares sont les manga posant réellement des questions sur la vie des jeunes filles, qu’elles soient sentimentale ou purement anodine. La plupart du temps, nous sommes condamnés à lire des histoires souvent pleines de bons sentiments, aux héroïnes tellement stupides et cruchasses qu’elles finissent par devenir une norme, ou plutôt, une normalité.
Quelle normalité pour les jeunes filles et leurs soucis dans le manga ? La réalité qu’adolescents et adolescentes veulent voir : des histoires de coeur souvent miéleuses aux codes graphiques vus et revus, des sentiments si bons qu’on en arrive à se dire qu’ils pourraient être vrais.
Tout ceci n’est qu’illusion, abberation et usurpation de la réalité qui est bien plus cruelle et qu’on ne veut voir en face.
Alors certes le manga n’est pas forcément destiné à être réel, c’est selon nos gouts que nous choisissons de lire ou non des histoires potentiellements réelles.
Je lance pourtant un défi à nos lectrices et lecteurs de shojo bien mielleux : serait-vous capables de tenir la difficile lecture de « In the clothes named fat ? »
Qu’on se le dise tout de suite : In the clothes named fat n’est pas un manga facile. Vous prendrez autant de plaisir à le lire que vous serez dégouté en le refermant.
L’auteur, Moyoko Anno (femme d’Hideaki Anno, créateur de Shin Seiki Evangelion), trace ici le portrait de Kono, une jeune fille grosse, gentille et un peu molle, dont le seul « défaut » est de noyer ses angoisses dans la nourriture.
« Avale ! » dit la voix dans la tête de Noko, « Prend des forces ». Noko se remplit la panse chaque fois que quelque chose ne tourne pas rond, qu’elle angoisse ou se sent seule. Pourtant Noko ne vit pas mal cette situation, elle est même plutôt heureuse d’être comme elle est et de vivre de cette façon, car après tout, même si elle a un probléme avec la nourriture, elle se sent bien et heureuse.
Noko a un petit ami nommé Saito, avec qui elle couche régulièrement. Ce dernier, jeune homme bossant dans une grand entreprise, trouve dans les courbes et la mollesse de Noko l’apaisement qu’il lui faut pour se sentir bien.
Noko, souvent persécutée au travail à cause de ses courbes, vit mal le fait qu’une de ses collégues de bureau nommée Mayumi, lui prenne de temps à autres son copain, mais elle laisse couler.
Elle laisse couler parce qu’elle est grosse. Et comme elle est grosse, elle se pense inférieure.
Mayumi sa collègue de bureau, ne supporte « ni les grosses ni les moches », et aimera à coucher avec le copain de Noko pour mieux détruire cette dernière.
Faisant de sa masse un complexe, Noko va commencer à suivre un régime chez une esthéticienne pour tenter de perdre du poids, tout en continuant de noyer ses angoisses dans des quantités astronomiques de nourriture. « A cette époque, j’avais pris l’habitude de vomir » dit-elle tout naturellement.
Mais ce n’est qu’un début d’engrenage et Noko finira par devenir aussi mince que tout le monde (Nd Echy : A débattre, comme le démontre si bien ce manga la normalité n’est que généralité, pas forcément la vérité), mais en sera t-elle plus heureuse pour autant ?
« In the clothes named fat », vous l’aurez compris, est un manga difficile : assister aux scénes de goinfrerie de Noko est dur. Tout comme la voir se faire vomir à chaque fois qu’elle sort du restaurant prend aux tripes et nous fait nous demander si nous ne sommes pas dans un monde complétement fou.
Publié dans une édition de très bonne facture quoi qu’un peu coûteuse, le manga respecte le format originel, tout en noir et blanc et possédant un épilogue qui ne figurait pas dans la version originale.
Le trait, simple et parfois presque trop simple, ne rend que plus cruel le désarroi de Noko, comme si c’était à la fois si simple et si facile de coucher sur le papier des choses aussi difficiles. Habitués à prendre des pincettes pour de tels sujets, Moyoko Anno nous présente les faits tels qu’ils sont, sans détours, sans à-cotés, et se montre cruelle avec son lecteur, en l’obligeant à regarder la vérité en face.
Mais qu’on ne se méprenne pas : « In the clothes named fat » n’est pas un manga sur la boulimie et l’anorexie adoptant le point de vue hypocrite de Noko, l’un vaut mieux que l’autre et que quitte à se sentir bien, Noko n’a qu’a rester obèse avec son probléme de bouffe.
« In the clothes named fat » est bien plus profond et fort et nous démontre comment, pour arriver à se forger une image dite « parfaite », Noko (et potentiellement n’importe quelle femme) est prête à se tuer lentement mais surement. Vous qui avez une petite amie rondelette, vous avez surement eut droit au moins une fois dans votre vie au fameux discours du « Je suis trop grosse, il faut que je perde du poids ».
Depuis la lecture de ce manga, j’attend avec effroi le moment où, se regardant dans la glace avec une mine agacée, ma copine se dira qu’il faut impérativement qu’elle maigrisse.
Je la sais suffisament intelligente pour ne pas faire de bétises, mais je crois que le souvenir de Noko et de ses rondeurs me hantera encore longtemps.
A ne pas mettre entre toutes les mains.
Ecrit par Neithan le 22 avril 2007 | Modifié le 04 novembre 2007