Parce que sur Lost-Edens on aime les auteurs originaux qui nous proposent des œuvres intéressantes, on vous écrit des articles comme nulle part ailleurs.
Helter Skelter nous parvient en cette année 2007, belle comme des cheveux verts. Le manga est édité par Sakka (Auteurs). Le livre est très joli, épais, le papier et l’impression sont d’une excellente qualité, comme d’habitude.
Son auteur, Kyôko Okazaki, est une figure emblématique du manga indépendant et fut celle qui inspira bon nombre de dessinatrices, comme Moyoco Anno (cette dernière fut d’ailleurs l’une de ses assistantes).
Malheureusement, Kyôko Okazaki a été renversée par un conducteur ivre en 1996 et est désormais dans l’incapacité totale d’écrire, sa rééducation n’étant pas, onze années plus tard, terminée.
Elle fut ainsi arrachée à son art alors qu’elle était en pleine maitrise de ses sujets et de son style de dessin. Helter Skelter est le dernier manga qu’elle ait pu dessiner.
Helter Skelter nous dépeint la longue descente aux enfers de Lili, mannequin refait des pieds à la tête par l’agence qui l’emploie.
Si l’on peut croire au début que nous allons avoir affaire à un récit qui raconte comment Lili a été modifiée pour devenir mannequin, sachez qu’il n’en est rien. Ici, pas de bons sentiments et d’histoire à l’eau de rose permettant de savoir pourquoi l’héroïne est devenue telle qu’elle est. Le manga commence alors que Lili est déjà bien à bout, fatiguée et usée tandis que son corps commence à la lâcher.
Kyôko Okazaki nous dépeint donc la descente aux enfers de Lili, mais pas une fausse descente aux enfers : la vraie, celle qui conduit à des comportements et des situations hors normes.
Ainsi l’auteur fait intervenir, dans un milieu pourtant assez cliché et conventionnel, des situations crues et perturbantes ; fait faire irruption dans cette normalité des comportements et situations hyper trash, qui ont pour effet de créer un malaise ambiant immédiat.
Personnage central et évocateur d’une puissance malsaine encore jamais vue dans un manga, Lili est une personne haineuse, sadique. Elle fais régulièrement des crises pendant son travail, crises durant lesquelles elle balance tout ce qui lui tombe sous la main et insulte tout le monde. Souvent grossière et vulgaire, elle n’hésite pas à mal se fringuer, voire à se balader à poil sur son lieu de travail, prenant parfois même la pose les jambes bien écartées en insultant les gens qui la considèrent comme un modèle.
Car Lili déteste les personnes qui croient en elle comme en une personne sainte, qui pensent qu’elle est belle intérieurement. Lili se le dit souvent quand elle passe des interviews : je vous dis ce que vous avez envie d’entendre, et ça me va très bien comme ça.
Derrière ce personnage incroyablement hors normes, on dénote également une seconde trame, celle d’un enquêteur cherchant à résoudre une affaire de suicides qui touche des femmes qui sont passées par une clinique de chirurgie esthétique, cette dernière n’hésitant pas à faire ses médicaments à partir de fœtus importés de Russie (ndEchy : probablement en écho à une sombre légende urbaine de produits cosmétiques réalisés à base de foetus humains).
L’auteur fait ainsi une critique très trash du culte jeuniste de nos sociétés. Lili en est l’incarnation même car au delà d’une simple lutte pour rester belle, Lili s’efforce de combattre le temps qui passe et lui fait réaliser qu’elle ne pourra rester belle et désirable éternellement. C’est également ce temps qui passe qui lui fait faire toujours plus de folies et de choses dérangeantes, elle ira jusqu’à faire l’amour avec le copain de son assistante devant cette dernière, ou même jusqu’à violer ladite assistante avec un godemiché pour satisfaire ses envies toujours plus extrêmes. Jusqu’à ce qu’elle soit sauvée, non pas par un prince charmant comme on pourrait le croire, mais par elle-même, faisant preuve d’une force incroyable qui ne la laissera pas indemne.
Finalement aussi horrible physiquement que mentalement, Lili deviendra alors une personne entièrement en accord avec elle-même, ses excès, ses délires, sa façon d’être.
Kyôko Okazaki nous dépeint la lente descente aux enfers de cette icône qu’est Lili, icône qui passera de modèle de rêve à modèle d’horreur, de star des magazines à star du freak show, ce qui au final lui correspond beaucoup plus.
Hyperréaliste, trash et sans limites, Helter Skelter est un pur condensé de manga comme on n’en voit quasiment jamais. Il réussit le pari d’actualiser un thème assez commun tout en disposant d’un graphisme porté sur le grotesque qui le sert à merveille.
Un très grand manga, qui risque malheureusement de ne jamais connaitre de suite scénaristique comme thématique.
Ecrit par Neithan le 18 avril 2008 | Modifié le 18 avril 2008