Tetsuya Tsutsui est un mangaka pas tout à fait comme les autres. En effet, l’ami Tsutsui est un jeune dessinateur indépendant, qui publie ses travaux de manière libre et gratuite sur son site Internet depuis maintenant plus de deux ans. Duds Hunt, que nous propose de découvrir le tout récent éditeur pro-fantasy Ki-Oon, est l’un de ces travaux. C’est donc spécialement pour nous, public francophone, qu’une version reliée de cette nouvelle comprenant 150 pages (auxquelles se rajoute la vingtaine de pages d’une histoire toute en couleurs) a été imprimée, reliée, et adaptée en une langue étrangère pour la toute première fois. L’auteur nous a même gratifié d’un commentaire personnalisé et de magnifiques illustrations de couverture.
NB : L’auteur est depuis peu (début 2004) publié de manière professionnelle dans le Young Gangan de Square-Enix. Sa série en cours se nomme Reset, qu’il dessine tout en continuant de proposer des travaux parallèles sur son site web.
NB 2 - mise à jour de mai 2005 : Duds Hunt vient d’être édité au Japon par Square-Enix, en même temps que Reset qui ne compte également qu’un volume.
Ki-Oon a beau être un éditeur spécialisé dans l’heroïc fantasy (Element Line, Role Playing Girl), Duds Hunt est la première exception venant confirmer la règle. Car vous ne trouverez point ici d’épées, ni de mages, et encore moins de dragons. Heureusement, me direz-vous après avoir lu les lignes qui suivent.
Duds Hunt est un jeu. Un jeu prenant place à Tokyo en plein jour, pouvant survenir à tout moment et dont le but est de récupérer le “pointeur” des adversaires, à savoir le téléphone portable numéroté qui leur a été fourni. Chaque pointeur récupéré (et gardé jusqu’à la fin du temps réglementaire) rapporte la modique somme de 100 000 yens. Pour ce faire, les participants disposent d’un émetteur-récepteur équipé d’un GPS permettant de repérer, et de se faire repérer par les concurrents. Mais ils disposent aussi de tous les pouvoirs pour arriver à leurs fins, ce qui fait souvent tourner les parties en véritable carnage…
C’est pour se libérer du stress de son job de courtier d’assurance que l’ex-délinquant Nakanishi s’est inscrit à Duds Hunt, sous les conseils d’un correspondant du Net se faisant appeler Eksam. Et peu à peu, notre héros va prendre goût à la violence, à l’adrénaline que procure cette chasse à l’homme.
Sorte de croisement entre Battle Royale et Fight Club, Duds Hunt est, dixit l’auteur, “une fiction qui m’a été inspirée par la société dans laquelle je vis”. Et cette fiction dispose contrairement aux apparences d’un scénario de qualité ne se limitant pas à une succession de joutes sanguinaires (pas si sanguinaires que ça d’ailleurs, la violence n’étant ici pas excessive). Tetsuya Tsutsui parvient en effet à construire une histoire intelligente et bien menée, notamment grâce à la mise en parallèle de deux personnages principaux, à savoir Nakanishi, ex-détenu d’une maison de correction, et Chihiro, une fillette apparemment sans rapport avec l’intrigue principale.
Qui sont les instigateurs de ce jeu ? Dans quel but l’ont-il créé ? Toutes les intrigues se recoupent, tout reste cohérent, toutes les réponses aux questions finissent par arriver. Et le lecteur en ressort satisfait, ne restant pas sur sa faim comme après lecture de la plupart des one-shot.
Le graphisme de Duds Hunt est d’un rendu très “propre”. Colorisées et retouchées par ordinateur (enfin de couleur il n’y a ici que des niveaux de gris), les planches de Tsutsui se révèlent à première vue assez simples. Mais son trait est emprunt d’un certain cachet personnel et d’un dynamisme à toute épreuve lors des passages mouvementés.
Tsutsui possède de plus un rare talent de mise en scène, surtout pour un auteur si peu expérimenté.
J’adhère à son style, et j’ai hâte de voir ce dont il serait capable en s’impliquant au maximum.
Du fait de la longueur du récit, seuls deux personnages sont réellement développés : Nakanishi et Chihiro.
Nakanishi est un ancien délinquant, détenu d’une maison de correction. A sa libération, il est engagé comme courtier d’assurances en vue de revenir dans le droit chemin. Mais le stress engendré par son boulot et son patron tyrannique le poussera à prendre part à Duds Hunt. A laisser libre cours à ses pulsions sanguinaires.
Chihiro est une jeune écolière tout ce qu’il y a de plus banale. Très attachée à son père, sa vie sera bouleversée le jour où celui-ci sera hospitalisé suite à de graves blessures…
En fin de tome se trouve Rêves Eveillés, une nouvelle expérimentale de 20 pages sur papier glacé, toute en couleur cette fois. Autant dire qu’il s’agit de la cerise sur le gâteau. Dotée d’un scénario de qualité malgré son faible nombre de pages, cette histoire aux accents plutôt glauques est divisée en 11 parties allant d’une à trois pages, à première vue sans rapport apparent entre elles (mais…). Chaque partie dispose d’un style graphique différent et en totale adéquation avec son contenu, certaines planches se révélant vraiment réussies (joliment macabres, en fait). Un excellent bonus de fin qui finit de démontrer le talent narratif de Tetsuya Tsutsui et prouve qu’il peut être graphiquement très polyvalent.
Duds Hunt est un one-shot plutôt surprenant. Je dois dire que j’avais très peur du résultat au vu du synopsis et du peu d’expérience de l’auteur, mais au final je ne regrette certainement pas le pèlerinage de mes 8.50 euros. Un bon moment de lecture, défoulant mais intelligent, pas prise de tête mais qui pourrait sans difficulté prêter à réflexion. L’excellente courte nouvelle en fin de volume a définitivement fini de me convaincre. Pour couronner le tout l’édition française est vraiment exemplaire (bravo Ki-Oon) : couverture grainée (type FLCL), impression nickelle, adaptation réussie et pages couleurs sur papier glacé. Sans vouloir surestimer ce qui ne reste qu’un modeste divertissement, Duds Hunt reste une petite gourmandise comme on en voit rarement. Pourquoi se priver si en plus elle nous est exclusive ?
NB : Les illustrations et extraits de planches présents sur cette page proviennent de Studio221, site officiel de Tetsuya Tsutsui.
Ecrit par Aniki le 05 décembre 2004 | Modifié le 04 novembre 2007