Un vaisseau qui ne répond plus, une planète mystérieuse, un équipage à la rescousse: quoi de plus classique ?
Et pourtant, on est loin de penser qu’on vivra tant de choses au plus près de la mort.
Dead Space fait la part belle à l’horreur. Et comme dans Alien, c’est l’environnement – dans la manière d’appréhender ses espaces et recoins – qui vient hanter le joueur. Héros muet, co-équipiers distants et peu bavards, il n’y a que le joueur pour s’impliquer dans un univers si vide. Dans l’étroitesse des couloirs et dans l’immensité de l’espace, on se sent devenir claustrophobe. Il émane de l’Ishimura quelque chose de réellement menaçant: c’est la survie en milieu hostile à son paroxysme, l’adaptation permanente à de nouveaux dangers. Et la musique y joue un rôle très important, les sons spatialisant complètement l’angoisse. La tension monte et se répand en nombreuses vagues successives dans de sordides endroits, qui seront bientôt remplis de monstres humanoïdes venant de toutes parts, et surtout d’où on ne les attend pas, pour mettre fin à votre déambulation malaisée dans cette épave flottante. Lugubre.
L’Ishimura, comme le Nostromo, est un cimetière dans l’infini du ciel, un corps lui-même rongé et la représentation parfaite de l’Angoisse. Cette impression de malaise est renforcée par la psychologie désincarnée et aliénée d’un antihéros meurtri dans sa chair et devant affronter les pires peurs existantes. L’inconscient est en action, et trop réel. En face de lui, les Nécromorphes, subtiles hôtes de marque, ne sont que des formes lointaines et vagues qu’on ne reconnaîtra vraiment que lorsqu’il sera trop tard. Ils inquiètent par leurs allures humaines estropiées, se fondent dans le noir et jouent à chasser leurs proies dans des aires de jeu désertées. Mais c’est sans compter sur le talent d’Isaac Clarke, qui une fois équipé d’un Cutter plasma se révélera être un résistant hors-pair et un survivant ne faisant plus qu’un avec la violence des lieux… Tout le monde sait que la meilleure défense est l’attaque.
L’ennemi ne ressemble à rien de connu, et rappelle trop nos démons intérieurs, les vices de la chair, les cauchemars hallucinés où les corps sont déformés. Ils hurlent à la mort, on sursaute, on panique. On court, sans grande conviction, et on tire dans le tas en réalisant que le chargeur se vide bien trop vite. Puis alors que le moment fatidique arrive, on comprend que notre arme a plusieurs fonctions, on tourne le cibleur et on vise les pattes ou tentacules (on ne sait pas trop) et l’effet se fait sentir. Ca suinte, dégouline, la forme cesse d’avancer. Est-ce mort ? Je préfère vérifier, quelques coups de pieds en plus ne peuvent pas faire de mal. Ca défoule, j’en mets partout. Démembrer, voilà le maître mot.
Déstructurée, une colonie minière en proie au chaos, un héros bouche bée face à tant d’horreur et à la recherche éperdue de sa fiancée. Tout coupe, tout brûle, tout s’arrache. La peau, le métal, les câbles … et ces écrans qui grésillent, les lampes qui se brisent, tout qui disjoncte. Dans la tête aussi. Finalement, on est en là, et crevé : tout seul à lutter. On avance, on se perd, on espère trouver son chemin avec le guide laser de couleur bleutée, la seule couleur porteuse d’espoir ici. Car le vert est déjà pris, posé sur de froides textures, des visuels agressifs, des liquides malsains et puis aussi du sang bien rouge étalé sur de longues allées, qui viennent accentuer et rendre malsaine la banalité affligeante de lieux autrefois habités… Les monstres rôdent toujours: j’ai cru les entendre. Je délire. Ce vaisseau n’est pas hanté: j’ai cru voir quelque chose. Et ça recommence, ils arrivent.
A peine le temps de reprendre ma respiration que je suis déjà sorti dans l’espace, les débris flottent et me font de l’ombre. C’est beau. Et grand. Et glacé. Le son incessant des martèlements et des cris se fond en un bruit sourd, étouffé. Et ma respiration est forte, saccadée. Mais cette liberté, cette impression de vivre ne peut durer. Mon temps est compté, les réserves d’oxygène diminuent. Je n’arrive pas à le réaliser. Pourtant je dois y retourner, replonger dans ce monde qui empeste la mort, dans ces ténèbres profondes.
Me voilà dans une salle rassurante. Le Stock me permet d’acheter de nouvelles munitions et de revendre ce que j’ai trouvé sur ces monstres. Voilà une nouvelle tenue pour m’aider. J’améliore mon équipement en soudant les Points de Force que j’ai collectés. Il va m’en falloir beaucoup. Hélas. Ma co-équipière vient de m’indiquer un nouvel objectif, à la manière de Metroid et j’exécute aveuglément ses ordres. De toute façon, je n’ai pas d’autre choix. Ou bien je rétablis le courant, les communications et tout système de défense qui peut nous aider à réparer la situation, ou bien nous mourrons ici dans l’inconnu et l’anonymat. Voilà une nouvelle salle, énorme. On passe en zéro gravité, et voilà que je me lance dans le vide pour atterrir sur le plafond, devenu sol. Je perds tout sens de l’orientation. Je suis perdu. Nouveau son inquiétant. Je tourne et … bordel ! Cette créature a failli m’avoir. Mes battements de cœur s’accélèrent. Tu vas morfler. Le temps de la découper soigneusement, de déverser sur elle ma haine, ses camarades de jeu sont déjà derrière moi, fonçant à toute allure. Ils sont trop nombreux. Je décide alors d’utiliser ma stase sur le plus rapide, et ils se retrouvent ralentis en un instant dans un voile bleu. Mais je n’avais pas prévu qu’ils seraient si nombreux et voilà qu’une de ces petites bestioles malignes m’agrippe le bras et tente de monter sur mon dos, de m’arracher le visage et la tête, pour prendre possession de mon corps, ou pour me laisser dévorer par ses congénères.
La barre de santé diminue progressivement sur mon armure et je dois me débattre comme un malade, cette chose s’accroche. J’arrive à aller plus vite qu’elle et la prends, l’écrase sous mon arme. Je suis faible, mes munitions ne m’assureront pas la victoire. Une pression sur mon armure et je me sens mieux. J’en profite pour filer en vitesse. Je ne me sens en sécurité nulle part. Vite, ils peuvent me trouver. Seulement la porte est défoncée et je ne peux pas passer car un pan de mur se trouve devant. Que faire ? Ils arrivent. J’utilise mon pouvoir de télékinésie, et bouge les obstacles. J’ai réussi à leur échapper. Le couloir suivant m’a l’air sûr mais je devrais quand même me méfier. Effectivement, la lumière vient de s’éteindre et la zone passe en quarantaine. Je n’aime pas ça. Alarme et lumières gyroscopiques me font stresser. J’avance, et je les vois se jeter sur les murs et les plexiglas renforcés. Ca va, plus de peur que de mal. Je regarde mon inventaire en temps réel sur la projection holographique de mon armure …
Soudain, les conduits d’aération se mettent à faire tout un vacarme et une énorme bête en sort. Une vision de l’Enfer. Je l’explose, mais son ventre contient des larves qui sentent la chair fraîche de mon côté. A moins qu’il ne s’agisse de ce monstre qui rampe et récupère les corps morts pour muter. Je ne sais plus. Mes souvenirs sont flous, marqués par tant d’atrocités.
Malgré mon instinct de survie, on dirait que je suis déjà passé de l’autre côté de l’existence, alors autant ne faire plus qu’un avec la mort, n’est-ce pas ?
Dead Space, expérience unique. Apogée de l’horreur, brillante réalisation obscure qui envahit l’être et ne laisse pas indifférent. Le répit même semble inquiétant, anormal. Plus qu’un jeu, c’est un hommage à des univers torturés sous le meilleur angle. Bout à bout, les références donnent une cohérence à l’ensemble tandis que la simplicité de l’intrigue ne fait que renforcer la pesanteur et l’intensité de ce chemin de croix dans un monde violent. Empruntant au genre renouvelé par Resident Evil 4, jouissant d’un travail graphique qui met à l’amende BioSchock et Metal Gear Solid 4, ce jeu est ce qu’a fait de mieux Electronic Arts pour les joueurs. Merci donc pour cette adrénaline, ce plaisir de jeu, cette simplicité et cette monstruosité dévorante (c’est le cas de le dire) qu’est Dead Space.
Ecrit par Daku le 15 décembre 2008 | Modifié le 18 janvier 2009